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mercredi 28 avril 2010

Dissonances

Indubitablement, elle aimait le timbre de sa voix. Elle appréciait la tessiture froide et altière de soprano qu'elle avait réussi à acquérir avec l'expérience et l'entraînement quotidien qu'elle s'imposait depuis de nombreuses années. Tous les matins, elle faisait des vocalises pour exercer sa technique et parfaire ce chant qui faisait sa fierté. Elle regrettait parfois de ne pas pouvoir se guider d'un accompagnement instrumental, comme autrefois.
Devant sa fenêtre, elle regardait se lever le soleil et pendant un long, très long moment, emplissait la pièces de sonorités dissonantes et discordantes jusqu'à trouver la note parfaite. Celle sur laquelle elle sentait vibrer avec force de son vibrato le plus fluide, celle qui ferait trembler le voisinage, qui la rendrait célèbre. A vrai dire, elle la cherchait encore, cette note chimérique, à grand recours de facéties musicales, jour après jour, sans l'avoir jusqu'à présent découverte. Elle finissait toujours par rendre des sons moins purs, plus effacés, et lasse de médiocrité croissante, remettait sa recherche de perfection au lendemain. Elle craignait aussi de s'abîmer la voix à chanter de la sorte.
Et, même si sa recherche n'avait pas abouti, c'était pour cet instant de la journée qu'elle considérait que la vie valait la peine d'être vécue, qu'elle était satisfaite de rester en ce monde.
Pourtant dans la petite pension où elle occupait une modeste chambre dénudée, aucun voisin ne lui avait jamais parlé de sa voix. Personne n'avait posé de questions sur les accords impossibles qu'elle testait, ni ne s'était plaint du bruit engendré par ses répétitions intensives. A vrai dire, personne ne lui avait jamais adressé la parole... Ils passaient tous sans la voir, ignorant sa présence, la snobant si elle leur murmurait le bonjour.
Un matin, des inconnus déposèrent dans sa chambre quelques cartons, on étendit un lit contre le mur, et on installa un fauteuil près de la fenêtre. Les étrangers repartirent quelques instants plus tard, riant et bavardant, accompagnant un jeune homme discret qui resta dans la pièce, après avoir remercié et congédié les autres visiteurs. Il sortit une vieille guitare de sa housse élimée et s'assit sous les derniers rayons du jour. Ses mains dansèrent sur les cordes et la musique naquit.

Quand il jouait, il était toujours surpris de la voix de femme, discrète, qu'il croyait entendre et qui accompagnait ses mélodies à la perfection.

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