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lundi 26 avril 2010

Petite serveuse

Je suis quelqu'un de bon, de gentil. Blessée, je m'efforce de cacher ma douleur. Cette vie est un enfer, et les voyageurs de passage qui me dictent ma conduite ou critiquent mon travail en sont les habitants perpétuels.
J'ai besoin de hurler, besoin de bruit, de haine, de violence, de voir quelqu'un souffrir.

Les gens me dégoûtent, j'ai envie de faire disparaître tout ce qui m'entoure. De voir celui qui m'a insulté s'étouffer face à moi avec un simple morceau de pain sec et sourire de son malheur, amusée d'abord, puis, réalisant ce qui se passe sous mes yeux, sentir monter en moi ce rire gras et désespéré qui monte des entrailles pour finir par répandre son écho sur la lande. Tout disparaîtrait, l'auberge, ma dette, cette vie de misère, il n'y aurait plus que le vent et moi.
Arriverais-je à courir, pour ôter cette hargne malsaine qui s'est emparée de moi ? Je n'arrive déjà pas à m'en séparer là, au quotidien de ma petite existence minable....

J'aurais envie de le regarder se tenir le cou, incapable de stopper le drame qu'il vit, et lever des yeux désemparés vers moi. Sa face rougeaude virerait lentement au noir, il me supplierait du regard et moi je le regarderais et lui cracherais ma haine au visage avant de m'essuyer les lèvres du revers de ma manche.
Ce pourceau qui m'avilit ne mérite que ce sort. Peu à peu, ses yeux se révulseraient et il s'affaisserait sur le flanc, mollement, faiblement agité par les derniers spasmes d'une toux qui ne le sauvera pas, haletant, ahanant, essayant de forcer le passage à cet air qui se refuse à lui. Je le pousserais du pied pour bien voir son visage lorsque la dernière étincelle de vie le quitterait. Ne pas manquer cet instant, l'instant où, pour expier sa vie, il mourra. Sans suite.
Il ne se relèvera pas, personne ne récupèrerait son essence - j'y veillerai - et je devrai choisir quelle partie de lui je garderais comme trophée, quelle serait, hormis le spectacle pathétique de sa déchéance fatale, le prix de ma quiétude, de mon calme, de ma paix.

Mais je m'avance... il faut d'abord qu'il meure.

Je me lève, rajuste mon tablier, lisse mes jupons et vais servir les apéritifs à ces Messieurs.

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