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dimanche 23 mai 2010

Verte de peur

Manuela ne supportait pas les supermarchés, les magasins de fruits et légumes, ni les fleuristes mais ce qu'elle abhorrait par dessus tout c'étaient les parcs municipaux. Depuis toute petite, elle poussait de grands cris lorsqu'on tentait de l'emmener se promener dans les espaces verts des villes, tout contorsionnés qu'ils étaient entre de grands bâtiments aux fenêtres obscures, monolithes de bétons délimitant ces terres mornes de végétation structurée.
Ses parents, inquiets pour sa santé et son équilibre, l'avaient emmenés chez un psychologue mais l'homme avait rétorqué que la petite était tout à fait normale, et qu'il s'agissait là de peurs intrinsèques à l'enfance, des craintes qui se résorberaient avec l'âge. Elle avait, semblait-il, peur des végétaux, plantes, fruits ou légumineuses... Et en effet, elle fuyait toujours la cuisine lorsqu’on préparait à manger et ne supportait que les légumes bien cuits.
Mais la jeune fille grandissait et ses angoisses subsistaient. A douze ans, elle fugua de l'école lors d'une sortie de plein air. On l'avait retrouvée plusieurs heures après, sur un terrain vague à quelques kilomètres de là, cachée dans un conduit de béton. Elle gardait les mains plaquées sur les oreilles, marmonnait des mots incompréhensibles et se balançait nerveusement d'avant en arrière, son corps était raidi de froid et des soubresauts maladroits la saisissaient par moments.
Elle fut internée pendant quelques semaines par mesure de sécurité.
Quelques années après, un autre incident d'un genre similaire lui valut à nouveau quelques mois de réclusion curative.
A sa majorité, ses parents l'installèrent dans un petit appartement, au sein d’un complexe d’une sobriété sans précédent.

Ce n'est que des années plus tard, après qu'elle eut sauvagement assassiné deux jeunes garçons qui avaient pénétré son appartement que l'affaire fut tirée au clair.
La police trouva la jeune femme dans son logement, un deux pièces de quarante mètres carrés couvert d’une végétation luxuriante au point d’en étouffer l’espace, en train de pleurer au-dessus d’un pot de fleurs brisé. Elle tenait entre ses mains une plante écrasée, souffreteuse, qui vivait ses derniers instants, elle la berça encore un peu, puis la déposa par terre. Elle se laissa emmener sans problème par les agents chargés de son arrestation, après avoir fait ses adieux à ses végétaux.
Le psychiatre qui fut chargé d’évaluer les compétences mentales de Manuela avoua qu’il avait rarement vu quelqu’un d’aussi équilibré posséder de tels délires hallucinatoires au quotidien. Il considéra qu’elle était folle, et le jugement de son procès la déclara non coupable pour cause de déficience mentale.
Les deux voyous auraient pénétré volontairement son domicile, saccageant les plantes avec mépris. La jeune femme expliqua que depuis sa plus tendre enfance, les plaintes et râles d’agonie des plantes, des fleurs coupées, des légumes ou des fruits l’assaillaient continuellement. Elle pouvait selon elle entendre leurs voix, leurs souffles. L’intrusion des garçons ne passa donc pas inaperçue même s’ils officiaient en silence puisqu’elle entendait clairement les hurlements déchirants des végétaux maltraités. Son geste, certes malheureux, ne fut donc que la conséquence nécessaire à la sauvegarde de ceux-ci…

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