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dimanche 4 juillet 2010

Grande

Cette salope à qui je suis enchaînée me fait souffrir tout le temps. Elle me connaît très bien et profite de mes faiblesses. Je ne sais pas comment m'en défendre; je voudrais lui faire exploser la tête, lui faire fondre les yeux, couvrir son corps répugnant de minces coulées de sang et le saupoudrer de sel en lui murmurant à l'oreille combien je la hais, je la méprise, et que je la regarderai crever jusqu'au bout.
Parfois, quand elle me frappe dans mon sommeil, je crois lire dans son sourire sadique qu'elle savait mes pensées pour elle. Peut-être agit-elle ainsi pour m'ôter la force de me rebeller. Alors, j'essaie de penser à ma petite sœur qu'elle commence à torturer aussi.
J'ai aussi mes torts envers la petite. Je l'ai fait pleurer l'autre jour en revenant dans la chambre couverte de sang. Elle a pris peur et s'est enfuie en courant. Je l'ai retrouvée enfouie sous les replis de la grande couverture qui recouvre le corps inerte de notre mère.
Et l'autre connasse qui me prenait de haut en disant que moi et la petite, nous étions pareilles... si elle savait ça... Mais je m'en fiche ! De toute façon, cette conne ne mérite pas que je lui parle. Elle passe son temps à me hurler dessus, vomissant ses envies qui deviennent des ordres, crachant son venin sur moi. Quand elle a peur, qu'elle se pose des questions, les coups sont plus durs, plus rapprochés, elle redouble d'imagination dans ses tortures. J'essaie de bien me protéger quand elle me frappe parce que je sais que quand je ne serai plus là, elle se rabattra sur la petite. Sans remords.
Avec les années qui passent, je la vois changer. J'aime les robes qu'elle porte quand elle sort. Elle a acheté des habits magnifiques. J'aimerais être belle, comme elle. Pouvoir porter ses robes et rencontrer des gens. Mais elle m'a toujours interdit de mettre des vêtements de couleur. La petite non plus n'en porte pas. Et sortir de la maison est impensable.
De toute façon, dehors, je ne sais pas à quoi ça ressemble. Je me dis que si je pars, la petite restera seule, sans protection, sans guide. Je sais que c'est sans doute prétentieux de penser ça mais je suis la seule chose qui puisse lui servir de guide. Et puis, l'enflure m'a bien amochée, je le vois bien. Mes jambes, mes bras, tout mon corps est couvert de traces de coups plus ou moins sanglantes, et les blessures prennent très longtemps pour se refermer. Certaines refusent même de disparaître. J'aurais peut-être pu être jolie, mais c'est raté. Je ne ressemblerai jamais à l'autre pétasse. Jamais personne ne m'aimera, je suis trop abîmée. Trop laide.
Un jour, la petite sera grande, j'espère qu'elle aura grâce à moi bien évité les coups et qu'elle sera belle comme elle l'est aujourd'hui. J'aurai protégé son innocence autant que possible. Alors, elle prendra une robe à la salope qui me détruit et elle s'enfuira loin d'ici.
Je sera seule, je souffrirai seule. Je mourrai seule. J'ai peur.

Et sa main tremblait en lisant ces lignes, de ses yeux coulaient toutes les larmes de son corps. Elle aurait voulu rire de l'absurdité de la vie qui l'avait amenée à reproduire le schéma qu'elle exécrait tant. Elle était horrifiée de ce qu'elle était devenue. Elle pleura en pensant au monde du dehors, dont elle attendait tant et qui s'était avéré être un enfer sans fin auquel elle ne pouvait plus échapper. Il lui était impossible de se soustraire à cette existence infernale. Ces jours qu'elle avait tant haïs ressemblaient à présent à un paradis à jamais perdu. Et elle était devenue bourreau.

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