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lundi 2 août 2010

Renaissance

Extrait du journal de Anton Könnelcke

« A mesure que je m’approchais de la grotte, l’odeur de putréfaction se faisait plus présente. J’entendais distinctement les raclements des os sur le sol et les chuintements des chairs qui se disloquent. Comme dans mon souvenir, l’entrée de la caverne était semi-cachée par une végétation maladive qui se laissait tomber des hauteurs et déversait ses tiges aux feuilles pourrissantes sur l’entrée de pierre, immense bouche béante à l’haleine fétide et moisie. J’aurais préféré que l’odeur qui pénétrait mes narines soit due à ces plantes à la teinte fade qu’aux corps énormes qui se traînaient par terre et heurtaient mes rétines.

Et je pensai à l’Arum Titan, cette fleur immense à la vie si courte et malodorante que les indonésiens la surnommaient poétiquement "fleur de cadavre", cette plante dont la floraison était si rare au vingt-et-unième siècle. Dès qu’un spécimen fleurissait, on faisait grand cas de cet évènement extraordinaire, les médias étaient prévenus et des spécialistes affluaient de tous pays pour assister au spectacle. Malheureusement, c’était un végétal fragile autant que timide et la rudesse des hivers vint à peser sur son existence telle une menace implacable. Malgré les résolutions obstinées des scientifiques, on assista au dépérissement des dernières fleurs durant l’été 20xx. Mais alors qu’on l’avait crue disparue, qu’on écrivait déjà à quel point la perte d’une espèce aussi unique était dramatique, non seulement pour la biodiversité de la planète, mais également pour les recherches scientifiques qui n’avaient pas encore abouti aux résultats escomptés, des pousses d’Amorphophallus titanum avaient commencé à germer de manière impromptue un peu partout sur la planète.

D’indignation, les gens décidèrent de protéger ces miraculées, voir ainsi réapparaître une plante éteinte était de fait quelque chose de tout à fait surprenant. Et les recherches reprirent, on analysa la plante et ses effets, on l’utilisa pour ses nombreuses vertus et on l’éleva, on la cultiva, on s’en servit à tort et à travers. Le végétal au parfum délétère déversait ses vertus dans toute l’alimentation mondiale.

A l’aube du vingt-troisième siècle, les premiers problèmes commencèrent à se faire connaître du grand public. La catastrophe était alors déjà devenue inévitable. On enleva en quelques semaines près de quarante-cinq pour-cents des produits alimentaires, contenant tous des dérivés d’Arum Titan. Les hôpitaux furent submergés par des malades dont on ignorait le mal, aucun remède ne fut trouvé alors que l’épidémie sévissait de manière toujours croissante. Seules les zones retirées, ou certaines familles et individus, refusant catégoriquement d’ingérer les produits contenant cette nouvelle molécule, furent épargnés. Comprenant qu’ils allaient se faire exterminer par la classe bien-pensante, les contaminés commencèrent à s’organiser en simulacres de société, ils se retirèrent des villes et s’enterrèrent dans les campagnes, les souterrains et les sous-sols et se dérobèrent aux regards de ce qui restait de la race humaine.

Alors que je m’apprête à m’enfoncer dans cette caverne infernale, je n’ai pas le cœur à me remémorer les stades de transformation par lesquels ils passent avant de devenir ces créatures immondes, ces êtres immenses, multiples et impies, ces aberrations de la nature… Je pénètre ce repère dans l’unique but de leur donner à manger. »

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